QU'A VOULU DIRE L’ÉGLISE EN DÉCLARANT QUE MARIE A ÉTÉ CONÇUE SANS PÉCHÉ ?


 

  • 1. 

Il faut éviter, mais d'abord identifier, les deux contre-sens habituels sur l'Immaculée Conception. Non, la conception de Marie par ses parents, comme de tout autre enfant, n'est pas un péché. Non, l'immaculée conception de Marie n'est pas la conception de Jésus par l'action de l'Esprit-Saint
Ces deux contre-sens ont la même origine : un soupçon de péché sur la relation conjugale par laquelle se transmet la vie
Saint Augustin, qui n'avait pas toujours été un modèle de vertu, n'était pas loin de penser ainsi. Si toute relation conjugale était forcément entachée de péché, Dieu aurait fait une exception pour Marie : par privilège, ses parents n'auraient pas péché en lui transmettant la vie ? De même, elle n'aurait pas péché en concevant Jésus, puisqu'elle n'a pas eu de relation avec un homme.
Dans ces deux contre-sens, nous payons les conséquences d'une vision trop pessimiste de la sexualité
A dire vrai, ce pessimisme était moins grand que l'exaltation effrénée d'aujourd'hui.
Le dogme de l'Immaculée Conception affirme simplement qu'en Marie, ne se trouve nulle trace de péché et, ceci, dès le premier instant de son existence au sein de sa mère.

  • 2. 

Marie, conçue sans péché, est la Nouvelle Ève, de qui naît le Nouvel Adam

Avant de raconter, sommairement, l'histoire de cette dévotion, allons tout de suite à l'essentiel

Dès le deuxième siècle, l'évêque de Lyon, saint Irénée, mettait en regard Eve et Marie. Alors qu'Eve a désobéi, Marie a obéi. Alors que la désobéissance d'Eve est source de mort, l'obéissance de Marie est source de vie. Les rôles sont renversés, comme l'AVE de l'ange à Marie est l'inverse du nom d'Eve en latin, EVA.
Mais saint Irénée va plus loin. Il ne se contente pas d'opposer Eve et Marie : Marie remonte au-delà de la faute commise par Ève. Elle défait le nœud qui nous enserrait depuis la faute originelle. Elle ne le tranche pas comme Alexandre le nœud gordien : elle dénoue les fils.

Les plus beaux textes sont ceux de deux Français, Paul Claudel et Georges Bernanos

Dans son poème, Il est midi, Claudel est entré dans une église pour regarder Marie
parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée    
la femme dans la grâce enfin restituée,
la créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
telle qu'elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originelle. 

Au regard de Claudel vers la Vierge répond le regard de Marie sur me curé de campagne, dans son Journal

Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin,
le seul vrai regard d'enfant qui se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur….
Un regard qui la fait plus jeune que le péché,
plus jeune que la grâce dont elle est issue,
et, bien que Mère par la grâce, Mère des grâces,
la cadette du genre humain. 

La totale innocence de Marie est un retour au Jardin d'Eden, un redémarrage définitif après bien des essais depuis le premier « oui », celui d'Abraham

Le Père André Cabes, Recteur de Notre-Dame de Lourdes, écrit :
Au seuil de la Nouvelle Alliance,
nous réalisons que le don de Dieu a, finalement, et de toujours,
triomphé des menaces de la mort :
la grâce est plus originelle et plus forte que le péché.

  • 3. 

Marie est indemne, dès le premier instant, de toute trace de péché, afin d'être pleinement libre de répondre « oui » quand Dieu lui demande l'impossible.

L'oraison de la solennité du 8 décembre dit que « le Seigneur a préparé à (son) Fils une demeure digne de lui par la conception immaculée de la Vierge »

Pourtant, Jésus n'a dédaigné ni la table des pécheurs publics ni les pleurs de Marie-Madeleine. Le pape Pie IX, dans le texte qui « définit » le dogme en 1854, énonce le fait de l'Immaculée Conception, mais ne cherche pas à en expliquer les raisons. Le pape Jean Paul II, à Lourdes, le 15 août 2004, pour le cent-cinquantième anniversaire du dogme, fit effort, alors qu'il avait tant de peine à parler, pour délivrer, de la part de la Vierge, cet ultime « message » à la fin de son homélie :
Soyez des femmes et des hommes libres !
Mais rappelez-vous :
la liberté humaine est une liberté marquée par le péché.
Elle a besoin d'en être libérée.
Christ en est le libérateur.

Le langage classique parle de l'Immaculée Conception en termes de sainteté. Peut-être le vocabulaire de la liberté nous est-il plus familier.

En tout cas, nous avons la caution d'un saint pape ! Peut-être ses paroles nous permettent-elles d'entrevoir le vrai motif de l'Immaculée Conception. Le péché est le refus de répondre à notre vocation d'enfant de Dieu. Il peut être pardonné, mais il laisse des traces. La maladie laisse une fragilité ; l'opération laisse une cicatrice. Nous ne sommes pas coupables du péché originel mais nous en sommes affectés. Nous naissons dans une ambiance spirituellement polluée. L'endoctrinement de la jeunesse allemande par les nazis en donne une idée : quelle liberté avait le jeune allemand de 1940 qui avait été enrôlé dans les jeunesses hitlériennes depuis son enfance ?
Pour être pleinement libre, Marie avait besoin d'une pleine liberté, que rien, à aucun moment, ne soit venu entacher. Or, il fallait qu'elle soit pleinement libre pour accepter la mission, disproportionnée à la nature humaine, d'être la mère virginale, non seulement du Messie, mais du Fils de Dieu. Elle y risquait, non seulement sa réputation, mais sa vie. Mais il fallait surtout faire l'acte de foi que Dieu puisse se faire chair. Il fallait faire le saut de l'Incarnation. 

  • 4. 

Comme à Marie, Dieu donne à chacun la grâce correspondant à sa mission et l'innocence de la Vierge est aussi notre vocation

Marie a reçu une grâce exceptionnelle parce qu'elle avait à répondre à une mission exceptionnelle

Non seulement dire le « oui » du jour de l'Annonciation mais traverser une multitude d'épreuves : trente ans de vie obscure, l'incompréhension quand le jeune homme de douze ans reste trois jours au Temple, la distance à prendre pendant la vie publique de Jésus, la montée des périls et la Croix. Après l'Ascension, Marie devra vivre, elle aussi, avec les disciples, le temps de la séparation jusqu'à ce qu'elle connaisse la gloire de l'Assomption.

Son exemple nous permet d'être certain que nous recevons, nous aussi, la grâce nécessaire pour répondre à notre mission. C'est ce que le Seigneur répondit à Paul : « Ma grâce te suffit. »

Le privilège de Marie trace aussi notre vocation. Il en est ainsi dans le monde biblique : ce qui est donné à l'un l'est au bénéfice de tous. Si nous sommes pécheurs en Adam et Eve, nous héritons de la promesse en Abraham, nous devenons un peuple en Moïse, nous sommes rois en David. En Marie,  nous sommes immaculés, en espérance : c'est notre vocation, dans le dessein de Dieu. La grâce du Christ qui a si merveilleusement agi en elle agit aussi en nous. Saint Paul l'écrit aux Ephésiens (1, 4). 
Dieu, le Père, nous a choisis dans le Christ,
avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés,
devant lui, dans l'amour.

  • 5. 

Quand il proclame le dogme, le pape Pie IX dit que cette vérité de foi est « révélée ».

Les premiers siècles chrétiens ne se sont pas posé de questions sur la sainteté de Marie

Elle est la « toute pure », « toute sainte », panagia disent les Grecs. Quand l'Orient commence à célébrer la conception de Marie, c'est simplement pour annoncer sa future naissance. On ne sait comment, la fête est passée en Angleterre vers l'an mil. Ce qui est certain, c'est qu'en 1138, la ville de Lyon célèbre l'Immaculée Conception. Saint Bernard réagit, car il lui semble que cette affirmation s'oppose à la nécessité et à l'universalité de la rédemption.

Le débat durera des siècles

Les Franciscains et la faculté de théologie de la Sorbonne étaient favorables ; saint Thomas était contre. Au 15ème siècle, le pape Sixte IV approuve un Office de l'Immaculée Conception et interdit aux deux partis de s'excommunier mutuellement. Le concile de Trente suit les sages conseils de Sixte IV. Mais la dévotion à Marie « immaculée » ne cesse de se développer. Si bien que l'archevêque de Paris, en 1830, ne fait aucune objection à la gravure de la médaille qui sera dite « miraculeuse ». Apparaissant à Catherine Labouré, rue du Bac à Paris, la Vierge lui avait montré ce qu'il fallait inscrire sur la médaille :
O Marie, conçue sans péché,
priez pour nous
qui avons recours à vous ! 

Cependant, les évêques, notamment espagnols, pressaient depuis longtemps le pape de prendre une décision

Le pape écrivit à tous les évêques du monde, aux supérieurs des grandes congrégations et aux facultés de théologie : peut-on dire que Marie est indemne de toute séquelle du péché, dès le premier instant de son existence ? A plus de 90 %, la réponse fut positive. Les réponses négatives concernaient d'ailleurs l'opportunité de la déclaration plutôt que son bien fondé. La promulgation officielle eut lieu à Saint-Pierre de Rome, le 8 décembre 1854. 

On peut dire que l'Immaculée Conception de la Vierge est révélée, au sens où, naguère, les images photographiques étaient révélées quand les pellicules étaient développées

Le cardinal Newmann et le pape Benoît XVI, dans Lumière du monde, ont expliqué cela. Ce point fait difficulté dans les relations œcuméniques, mais cela n'empêche pas tous les chrétiens de croire que la Mère de Dieu est toute sainte.  

  • 6. 

L'Immaculée Conception de la Vierge a-t-elle un indice dans l'Ecriture ?

Ordinairement, à ce sujet, les auteurs citent la parole de l'ange, déclarant Marie « pleine de grâce ». Mais ils ne vont pas assez loin

Dans la récitation de la prière du « Je vous salue, Marie », le nom de Marie a été ajouté. L'ange ne l'a pas prononcé. Dans l'évangile selon saint Luc, en grec, il la désigne par un mot, littéralement intraduisible et que le latin et le français ont édulcoré en « pleine de grâce », comme si, en Marie, la personne et la grâce faisaient deux. Le mot qui sert de nom propre à Marie est le participe parfait passif d'un verbe dérivé du mot « grâce », charis en grec. Il est au passif parce que l'auteur, c'est Dieu ; il est au parfait, pour traduire une action dont le résultat demeure. Marie n'est pas la grâce. Mais, en elle, il n'y a que grâce.

Cette manière de s'exprimer est absolument unique dans l'Ecriture

Dans le même évangile, quand l'ange s'est adressé à Zacharie, il l'appelle « Zacharie ». Marie, elle, a pour nom propre d'être le « chef d'oeuvre de la grâce » : cette périphrase a l'avantage de mettre en valeur, à la fois, l'Artiste qui est Dieu, et la réussite de son art, qui est Marie.

Comme ce nom est rigoureusement propre à Marie, on s'explique pourquoi, à Lourdes, la Vierge a fini par déclarer : « Je suis l'Immaculée Conception »

L’Église a reconnu l'authenticité des apparitions de Lourdes, mais ne s'est pas prononcée sur la déclaration de Marie. 

  • 7. 

Le dogme de l'Immaculée Conception est propre à l’Église catholique. Mais, sans qu'il l'adoptent, il peut dire quelque chose aux chrétiens d'autres confessions.

Par rapport aux catholiques, les orthodoxes ne sont pas en reste pour louer la Vierge, la « toute-sainte », même s'ils contestent qu'une proclamation dogmatique puisse se faire en dehors de la réunion d'un concile oecuménique, comprenant l'Orient et l'Occident

L'Orient chrétien n'ignore rien du péché originel et de la nécessité du salut mais la priorité est donnée à la divinisation. Dans cette perspective, le dogme catholique n'aurait pas, pour eux, une importance décisive.
En 1960, le Père Scrima, moine de l’Église orthodoxe, concluait : « Sans doute, l'Occident doit-il comprendre et admettre que l'Orient ne s'exprime pas dans les termes que la théologie occidentale a trouvés pour proclamer la toute-pureté de l'Immaculée ; tout comme les Orientaux devraient lire dans les dogmes de leurs frères occidentaux leur propre foi manifestée sous un mode spécifique. »

Les protestants, quant à eux, craignent tout ce qui tendrait à survaloriser la Vierge Marie

De plus, ils refusent toute affirmation qui ne puisse s'appuyer sur une preuve scripturaire explicite. Cependant, un groupe de travail entre catholiques et protestants qualifiés - le Groupe des Dombes -  a permis de s'expliquer plus sereinement. Car catholiques et protestants peuvent tomber d'accord sur un aspect du dogme : la primauté de la grâce. Il est évident qu'au premier instant de sa conception, Marie ne pouvait se prévaloir d'aucun mérite. L'Immaculée Conception est la meilleure illustration du sola gratia cher aux protestants.

Dans la « hiérarchie des vérités », selon l'expression du concile Vatican II dans le Décret sur l'oecuménisme, l'Immaculée Conception dérive de l'affirmation centrale de la foi : Jésus-christ, l'unique Sauveur

Tout autant que les protestants, les catholiques savent que Marie est sauvée, par la grâce du Christ, même si c'est « en prévision » du mystère pascal. Jésus a bien dit qu'Abraham avait « vu son Jour ». L'Immaculée Conception de Marie est prophétique.

S'applique à Marie, éminemment, ce que Thérèse de l'Enfant Jésus, docteur de l’Église, dit sur elle-même : elle est d'autant plus sauvée que Dieu l'a protégée du péché

Je suis cet enfant, objet de l'amour prévoyant de Père.
Il veut que je l'aime parce qu'il m'a remis,
non pas beaucoup, mais TOUT.
Il n'a pas attendu que je l'aime beaucoup comme sainte Madeleine,
mais il a voulu que je sache comment il m'avait aimée
d'un amour d'ineffable prévoyance,
afin que maintenant je l'aime à la folie !

d'après Monseigneur Jacques Perrier - aleteia.org


Écrire commentaire

Commentaires: 0

Si vous souhaitez nous contacter:

Note : veuillez remplir les champs marqués d'un *.