POURQUOI LES ATTAQUES CONTRE GALILÉE ONT ELLES FRAPPÉ LE LIVRE DE COPERNIC ?


1.
A la fin du XVI° siècle, la théorie héliocentrique de Copernic semble acceptée par une grande partie des lettrés et le principe aristotélicien du mouvement sphérique parfait et immuable de tous les astres commence donc à être remis en cause.

La publication en 1543 par Copernic du « De Revolutionibus » a tout de suite rencontré un vif intérêt dans les milieux lettrés

L'assistant de Copernic, Rhéticus, s'était chargé de diffuser les écrits de son maître dans toute l'Europe. Contrairement à un préjugé tenace d’origine freudienne, l’héliocentrisme ne fut pas ressenti comme une blessure (en effet dans la mentalité du bas Moyen-Age le fait que la terre soit le centre des sphères célestes impliquait qu'elle était aussi "en-bas", un lieu d'imperfection alors que le soleil symbolisait la perfection à cause de la régularité de sa trajectoire). A l’exception des milieux réformés qui y voyaient une incompatibilité avec l’Ecriture Sainte, il y eut peu de réactions négatives de la part des milieux ecclésiastiques dans les décennies qui suivirent sa publication. Certes une lettre de présentation (non rédigée par Copernic) précisait que la théorie pouvait être considérée comme une hypothèse pour mieux rendre compte des phénomènes et ainsi « sauver les apparences » ; et cela a dû aider à son acceptation. Mais surtout l'attrait de la théorie copernicienne venait d'une très grande simplification par rapport à l'antique système de Ptolémée. En effet, les observations de plus en plus précises des orbites de Mercure et de Vénus avaient conduit à rendre de plus en plus complexe le système des épicycles de Ptolémée (les planètes étaient supposées suivre une circonférence – épicycle – dont le centre était lui-même en rotation circulaire autour de la terre ou même en rotation sur une orbite dont le centre était en rotation autour de la terre !). Et l'un des arguments majeurs du chanoine polonais était le suivant « La nature elle-même ... ne fait pas par des causes nombreuses ce qu’elle peut faire par peu. »

La théorie héliocentrique fut largement popularisée dans toute l'Europe, comme en témoignent par exemple les travaux de l’astronome anglais Thomas Digges

En 1576, ce dernier traduit en anglais une bonne part du De revolutionibus avec par ailleurs des ajouts audacieux ; ainsi au lieu de la sphère des étoiles dites fixes (c'est-à-dire de toutes les étoiles sauf les planètes qui étaient appelées errantes), il évoque « l'orbe infini immobile ornée de lumières innombrables » et écrit « L’orbe des étoiles fixes s’étend sphériquement dans l’altitude infiniment vers le haut et est par conséquent immobile ». L'immobilité des étoiles fixes semble dès lors très raisonnable pour tous les lettrés ; cela implique en particulier la rotation de la Terre sur elle-même (certains s'en tiendront à cet aspect sans aller jusqu'à affirmer l'héliocentrisme). Par ailleurs, grâce à l’observation attentive des « étoiles nouvelles » (les « novae ») par Tycho Brahé en 1572 et en 1574 puis à l'observation des comètes (celles de 1577, 1585, …) les milieux lettrés arrivent à un certain consensus concernant la remise en cause du principe aristotélicien du mouvement sphérique parfait de tous les objets célestes et de l’immuabilité du monde supra-lunaire.

2.
A partir de 1611, Galilée entre en relation avec les plus hautes autorités civiles et religieuses et de ce fait excite la jalousie des dominicains. La lettre à la grande-duchesse de Toscane va mettre le feu aux poudres car Galilée pénètre dans la chasse gardée des dominicains, l'interprétation des Écritures.    Masquer les détails

Galilée publie en mars 1610 le traité Siderus Nuncius (le messager des cieux)

Ce traité décrit les observations de l’auteur concernant les anneaux de Saturne (qu'il appelle « planètes Médicéennes » en hommage aux Médicis). Son retentissement est extrême. Ces observations couplées à celle des taches solaires vont avoir de profondes répercutions. Dès 1611, Galilée est appelé à Florence avec la prestigieuse fonction de « premier mathématicien et philosophe du grand-duc ». Il entre à cette époque en relation avec le cardinal Barberini (le futur pape Urbain VIII) et le cardinal Bellarmin ; les jésuites du Collège romain donnent une opinion favorable sur ses découvertes. Elu à l’Académie des Lynx, il devient en quelque sorte le scientifique officiel des Etats pontificaux. Mais, à la même époque, par jalousie devant les succès de Galilée les dominicains du couvent San Marco lancent leurs premières attaques contre ses idées en les qualifiant d’hérétiques car contraire au passage du livre de Josué (où est relaté l'épisode du soleil s'arrêtant de tourner).

Galilée commence à parler de la juste interprétation des Écritures dès 1613

Dans sa « lettre sur les taches solaires » où il relate les observations des différentes taches du soleil et où il montre que ces dernières se déplacent à sa surface, il écrit que l'hypothèse de l'incorruptibilité du monde supra-lunaire est fausse car contraire à ses observations mais aussi « contraire aux indubitables vérités des Saintes Écritures lesquelles nous enseignent que les cieux et la totalité du monde ont été créés et sont donc dissolubles et transitoires». Cette publication le brouille avec le Père jésuite Scheiner qui affirme avoir fait ces observations auparavant. Mais surtout dans une lettre à son disciple Castelli, il y affirme que dans le domaine des phénomènes physiques, l'Écriture Sainte « n'a pas de juridiction », ce qui indispose encore plus les dominicains. D'autant plus qu'à cette époque, en réaction à la Réforme, la position catholique sur l'herméneutique penche plus vers une stricte attention au sens littéral des Écritures saintes plutôt qu'à leur sens symbolique.

Pris dans le conflit, les dominicains deviennent extrêmement virulents

Par exemple en décembre 1614, dans un sermon dominical, le Père Caccini, commentant le passage des Actes : « Hommes de Galilée, qu’avez-vous à regarder vers le ciel …», s'en prend directement à Galilée : les mathématiques sont une invention du diable et les mathématiciens devraient être bannis. Lorsque Galilée écrit à son ami Mgr Piero Dini au sujet des problèmes d'interprétation des Écritures posés par les thèses coperniciennes, ce dernier lui répond, en mars 1615, qu'il a vu le cardinal Bellarmin : celui-ci ne pense pas que la théorie de Copernic doive être condamnée, mais il souhaite que Galilée tempère ses positions et précise que la doctrine copernicienne « ne parle que selon les apparences ».

Dans la fameuse lettre à la grande-duchesse au printemps 1615, Galilée reprend ses arguments exégétiques sur le sens littéral des Écritures

« Les effets naturels et l’expérience des sens ne doivent d’aucune manière être révoqués ni a fortiori condamnés au nom des passages des Écritures quand bien même le sens littéral semblerait les contredire … car Dieu ne se révèle pas moins excellemment dans les effets de la nature que dans les Écritures sacrées. C’est ce que Tertullien a voulu dire par ces mots : ‘Dieu doit d’abord être connu par la nature et ensuite reconnu par la doctrine ; la nature est atteinte par les œuvres, la doctrine par la prédication’ ». Il en appelle à l’autorité d’Augustin sur la finalité des Écritures et poursuit en se référant aussi à saint Jérôme et saint Thomas d'Aquin. De plus, il prend vivement partie pour la théorie héliocentrique de Copernic en soulignant qu’elle n’est pas contraire aux Écritures et il affirme que la condamnation de la théorie héliocentrique serait en contradiction avec les passages bibliques proclamant que la gloire de Dieu apparaît dans toutes ses œuvres, (en particulier le célèbre passage du Psaume 19 « Le ciel raconte la gloire de Dieu et l'étendue révèle l'oeuvre de ses mains ; le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit »).

Galilée confirme une vielle tradition selon laquelle on lit la gloire divine à la fois dans le livre de la Nature et dans le livre des Écritures

Le simple astronome-mathématicien fait ainsi une leçon d’exégèse aux dominicains en se référant aux Pères de l’Eglise. Cette intrusion dans le domaine de la théologie et son influence dans les cercles du pouvoir politique excitent encore plus la jalousie des dominicains de Florence.

3.
La mise à l’index de 1616 va mettre un terme provisoire à la polémique mais elle est basée sur une erreur d'appréciation.

Les dominicains de Florence, ne pouvant s’en prendre à la personne de Galilée qui bénéficie de très hautes protections, utilisent d’autres armes

Un des leurs, Lorini, dénonce en 1615 les opinions erronées concernant la théorie héliocentrique dans un document envoyé au Saint-Office. Au cardinal Bellarmin qui conjure Galilée de parler comme si les hypothèses de Ptolémée et celles de Copernic étaient équivalentes, celui-ci répond qu’il ne suffit pas de vouloir expliquer les apparences mais qu’il convient aussi de vouloir comprendre la vraie nature des choses. Malgré cela, la congrégation du Saint Office sous la houlette des dominicains va se charger en février 1616 de la mise à l’index du De revolutionibus (publié 73 ans plus tôt). Bellarmin va atténuer cette sentence en obtenant que cette condamnation soit effective « jusqu’à ce que l’oeuvre soit corrigée ».

La procédure de mise à l’index est expédiée en moins d’une semaine : les théologiens sont convoqués le 19 février, la censure de la doctrine héliocentrique est adoptée le 25

Le texte du décret de censure est présenté au pape le 3 mars (curieusement il y est fait mention avant le livre de Copernic de celui d'un certain père Paul Foscarini qui avait été publié en 1615 en italien et qui, lui, devait être prohibé). Une entrevue entre Bellarmin et Galilée permet à ce dernier de donner son accord oral et lui évite un engagement écrit. Comme la rumeur circulait que Galilée avait été désavoué, Bellarmin lui fournit en mai 1616, un document écrit certifiant qu’il n’en était rien, mais qu’il lui était interdit de défendre et d’enseigner l’héliocentrisme autrement que comme une hypothèse.

4.
Derrière ce jugement de 1616, on voit un affrontement entre une lecture littérale de la Bible donnant une vision unitaire du monde et du savoir et une affirmation de l’autorité de la science. Concernant cette polémique sur l'interprétation des Ecritures, la position actuelle du magistère actuel va dans le sens de Galilée.

Le véritable enjeu c’est le conflit concernant l’interprétation des Écritures Saintes

Mais, le débat n’était pas clair et n’a pas fait s’affronter scientifiques et ecclésiastiques de manière binaire. Il s’est surtout joué entre hommes d’Eglise. Rappelons la célèbre position du cardinal Baronius, conseiller du pape Clément VIII dans les années 1600 et homme d’une intelligence fine : « La Bible ne nous enseigne pas comment va le ciel mais comment on va au ciel. » Cette formule de Baronius illustre la doctrine de l’inerrance de l’Ecriture Sainte appliquée au message du Salut qu’elle contient et pour lequel elle a été rédigée : la Parole de Dieu ne nous trompe pas sur ce qu’elle nous enseigne ; et ce qu’elle nous enseigne, c’est comment aller au ciel. Les hommes inspirés, qui ont écrit l’ensemble des livres de la Bible, ont eu recours à des genres littéraires différents que l’exégèse examine pour discerner ce que l’Esprit Saint a voulu nous dire à travers eux. Et très clairement, la Bible n’a jamais voulu enseigner la marche des étoiles !

Le jugement de 1616 repose donc sur des incompréhensions

En fait, la position du cardinal Bellarmin, s’explique de la façon suivante. S’il était avéré que la thèse de Copernic était vraie, plutôt que de se donner le ridicule de prétendre aller au nom de la Bible contre une vérité certaine, il lui aurait fallu reconnaître que sa lecture de la Bible n’était pas la bonne. Il aurait fallu qu’il fût prêt à changer de méthode exégétique, mais il n’était pas mûr pour cela. Dans toute l’affaire, finalement, les rôles se sont joués à front renversé ; il est piquant de noter que Bellarmin avait raison pour la méthode scientifique, car au début du XVII° siècle, la preuve rigoureuse de l’héliocentrisme n’était pas encore faite (l’argument de Galilée reposant sur l’alternance des marées n’était pas le bon), mais par ailleurs Galilée avait raison sur la question de l'interprétation des Ecritures.

Au XX° siècle, le magistère s’est clairement prononcé contre cette lecture littéraliste des Écritures

Ainsi la définition des genres littéraires bibliques a été soulignée par celui-ci et leur importance est mise en exergue pour la première fois en 1943 par Pie XII dans Divino Afflante Spiritu. La doctrine sur l’inspiration et sur l’inerrance des Écritures a été précisée dans la constitution Dei Verbum de Vatican II (1965). Saint Jean-Paul Il a par ailleurs déclaré dans son Discours devant l'Académie Pontificale des Sciences en 1996 : « J’ai eu l’occasion, à propos de Galilée, d’attirer l’attention sur la nécessité, pour l’interprétation correcte de la Parole inspirée, d’une herméneutique rigoureuse. Il convient de bien délimiter le sens propre de l’Écriture, en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu’il n’est pas dans son intention de dire. » Il est en particulier indu de chercher dans les Écritures des arguments pour confirmer ou infirmer des théories scientifiques qui sont d’un autre ordre.

 

D'après Rémi Stentis - aleteia.org


Écrire commentaire

Commentaires: 0

Si vous souhaitez nous contacter:

Note : veuillez remplir les champs marqués d'un *.